Le blog du CTD, par Bertrand Damien


Chers CTDistes, chers amis, bienvenue sur le blog du CTD. Humeurs, billets d'actualité, coups de coeurs et de bourre, ou simplement plaisantes conneries du 1 au 10ème degré.

Nom : Bertrand
Lieu : France

Musicien, compositeur, auteur, et Producteur de musique (label ESP Music). J'ai travaillé 20 ans dans l'industrie des télécommunications, et j'étais encore récemment Directeur d'un département de conseil en stratégie pour les opérateurs. Maintenant, musique...

1.5.05

Le cerveau a-t-il un sexe ?

Je reviens vers vous un peu plus tard que prévu : je ne retrouvais pas mes magazines de référence pour aborder ce sujet fort passionnant. C'est fait maintenant, dont acte...

Le cerveau a-t-il un sexe ?

Dans les années 90, la psychologue canadienne Doreen Kimura soutient que les hommes et les femmes ont des différences d’aptitude intellectuelle. Les femmes ressentiraient mieux les émotions, manieraient le langage et communiqueraient plus aisément. Les hommes, eux seraient plus forts en représentation mentale tridimensionnelle, en résolution de problèmes mathématiques, et trouveraient plus facilement leur chemin sur une carte routière.
Elle s’appuyait notamment sur des études remontant à plus de trente ans, à l’époque où est née la théorie des deux cerveaux. Cerveau droit contre cerveau gauche.

Statistiquement, les garçons seraient en effet meilleurs en maths... lorsqu’il s’agit de la résolution de problèmes. Par contre, en calcul mental, ce sont les femmes qui prennent la tête. Cependant, certaines filles sont plus brillantes en résolution de problèmes : un tiers des femmes dépasse la moyenne des hommes. Selon Stanislas Dehaene, spécialiste des bases cérébrales des mathématiques, rien ne permet de dire que le cerveau des filles est moins adapté aux mathématiques. (Sciences et vie, Août 2004, numéro spécial Sexe). “Je suis persuadé que les préjugés que véhiculent nos sociétés sur les mathématiques sont largement responsables du fossé qui sépare les performances des hommes et des femmes.”

Pour Michel Duyme, psychologue à la faculté de médecine de Montpellier, “il y a plus de ressemblances que de différences entre les deux sexes ; les divergences entre individus sont en fait bien plus importantes qu’entre sexes”. (Sciences et vie, Août 2004, numéro spécial Sexe)

Pourtant, il existe bien des différences biologiques. Des différences de structures dans le “corps calleux”, une aire qui relie les deux hémisphères cérébraux. La thèse biologique s’appuie sur une différence bien connue : le taux d’hormones sexuelles. L’idée est la suivante : imprégné de cette substance produite par les testicules à partir de la huitième semaine de gestation, le cerveau foetus mâle serait cablé différemment. Il existerait ainsi un “encéphale masculin”. D’après Théodore Rabinowicz, neurobiologiste de l’université de Lausanne, chez l’homme, les neurones y sont plus petits et plus nombreux.

Peut-on pour autant établir un lien clair entre les différences anatomiques et les divergences entre hommes et femmes ? On ne sait pas encore attribuer clairement une fonction donnée à une région corticale précise, car tout semble fonctionner en réseaux... et le cerveau conserve une plasticité forte pendant une grande partie de la vie. Or, c’est précisément sur la contruction des circuits neuronaux que s’exerce l’influence de l’environnement, issu à la fois du milieu “intérieur” - l’influence des hormones, de l’état nutritionnel, des maladies... - et du mileu extérieur - le rôle des interactions familiales et sociales.

Ce qui nous fait femme ou homme n’est en définitive ni réductible à la biologie, ni complètement étranger à elle. La part de l’inné et de l’acquis, la part du gène et du social. Toujours la même interrogation, toujours pas de réponse nette ?

Pour en revenir au cerveau droit vs cerveau gauche, cette idée sexiste largement passée dans le lieux commun, Sciences et Avenir (mars 2005) nous parle d’un livre récent (Cerveau, sexe et pouvoir, de Catherine Vidal, neurobiologiste Directeur de recherche à l’Institut Pasteur, et Dorothée Benoit-Browaeys, journaliste scientifique, aux Editions Belin), qui fait la synthèse des travaux en cours et plaide pour une révision des théories en cours.

Le livre fustige le manque de rigueur et l’influence pernicieuse des travaux de la canadienne Doreen Kimura. En 2004, lors de la dernière grande étude en IRM (Imagerie par Résonnance Magnétique) qui compare des centaines de sujets dans des tests de langage, il a été démontré que statistiquement, il n’y a pas de différence significative dans l’activation d’un seul hémisphère ou des deux hémisphères entre les hommes et les femmes. La clef, c’est la plasticité du cerveau. On peut aujourd’hui démontrer scientifiquement que les circuits de neurones se modifient en permanence, en fonction de l’apprentissage. Et quand on compare grâce à l’IRM les activations cérébrales de plusieurs individus, on peut voir que pour arriver à un même résultat - par exemple un calcul mental -, chacun a sa façon d’activer son cerveau, chacun a sa façon d’organiser son raisonnement. C’est cette variabilité individuelle qui est passionnante, plutôt qu’une soit-disante ségrégation biologique homme-femme.

Concernant Kimura, citée au début de mon blog du jour, Vidal précise dans l’interview de Sciences et Avenir : “elle n’a jamais fait d’imagerie cérébrale et elle insiste sur les différences de cerveau entre les sexes, déterminées selon elle pendant la vie foetale. Depuis, on s’est rendu compte que tout le contexte expérimental rendait ses travaux peu reproductible et qu’il était impossible d’en tirer une loi générale. Pourtant, elle a quasiment conservé le monopole sur le sujet, même si elle ne publie plus rien depuis longtemps. Tout cela serait anecdotique si elle ne faisait pas partie d’un organe politique, le Freedom Party, qui joue un rôle important dans l’éducation au Canada et aux Etats-Unis et prône des idées de libéralisme extrême. Ce que veut Kimura, c’est que chacun soit à sa place dans la société, chacun étant, au départ, apte pour telle ou telle chose. Pour elle, ce n’est pas la peine, notamment, de pousser les filles à faire des sciences ou des maths. C’est perdre son temps, parce qu’elles n’ont pas un cerveau apte à le faire.”

Comme quoi, il vaut toujours mieux savoir à qui on a à faire, la manipulation n’est jamais très loin quand on parle des sexes, comme tout ce qui touche à l’homme, cet animal social. Les thèses de Kimura sont tellement passées dans le lieux commun, sans être contestées, que l’on a droit à des déclarations du genre du doyen de l’université de Harvard aux USA (lors d’un discours consacré aux “femmes et la science” le 14 janvier 2005), qui dit en public que s’il y avait peu de femmes dans les disciplines scientifiques et en mathématiques, c’est parce que leur constitution biologique ne leur permet pas !

Alors, le cerveau a-t-il un sexe ? La conclusion à Catherine Vidal, dans son livre, Epilogue, p 89 :
“La réponse scientifique est oui et non. Oui, puisque le cerveau contrôle les fonctions de reproduction qui sont à l’évidence différentes entres les hommes et les femmes. Non, parce que le cerveau n’est pas un organe comme les autres, c’est le siège de la pensée. Or, pour que la pensée émerge, le cerveau a besoin dans son développement d’être stimulé par l’environnement. Il en résulte qu’hommes et femmes ont des cerveaux différents, mais au même titre qu’on peut trouver des différences entre le cerveau d’un violoniste et celui d’un rugbyman.”

Dans mes prochains Posts, je continuerais à tordre le coup à d’autres idées reçues, du genre : l’homosexualité n’est pas naturelle, ou bien encore : internet et le peer-to-peer nuisent gravement au monde de la musique.